Thibaut Clément : Route des Grandes Alpes® en 38 heures, 46 minutes et 56 secondes

Découvrez Route des Grandes Alpes® en mode accéléré avec Thibaut Clément…

Thibaut, peux tu te présenter ?

J'ai 31 ans j'habite à Annecy et je travaille à Genève, mais je suis originaire de Normandie. Pendant le confinement, j’ai utilisé un home trainer matin et soir pour tromper l’ennui. Je me suis pris au jeu et en juillet 2020 j’ai essayé une course officielle que j’ai gagnée avec plusieurs minutes d'avance ! En 2021, je suis rentré dans le team Matérielvélo.com et j'ai intégré le club de Grenoble, où je suis licencié depuis trois ans maintenant en catégorie Élite.


Pourquoi une traversée itinérante des Alpes ?

L’année dernière, j’ai établi le record de la traversée de la Corse. J’ai cherché pour la fin de saison 2024 un défi similaire. La Route des Grandes Alpes s’imposait comme une évidence !

 

Quel vélo as-tu utilisé ?

Un BMC SLR 01, mon vélo de tous les jours, qui me sert aussi pour les courses. Je suis à l'aise dessus, j'ai une position confortable qui ne provoque pas de douleur sur les longues distances. J’ai pris une sacoche étanche de 4 litres à l'arrière et une sacoche de cadre..

Thibaut Clément sur Route des Grandes Alpes®

Tu étais en autonomie totale ?

J'étais seul et sans assistance sur tous les aspects : m'habiller, acheter à manger, réparer mon vélo…


Quels vêtements as-tu emmenés avec toi ?

Une veste imperméable légère Goretex qu'on enlève et qu'on remet au gré des ascensions ou des descentes. Une sous-couche thermique chaude mais respirante, légère aussi et peu encombrante parce qu’avec une sacoche de 4 litres, il faut faire des choix. Des couvre-orteils, de bons gants, un cache cou et un cache-oreille et le même cuissard tout le temps.

matériel thibaut clément route des grandes alpes®


Quel éclairage pour la nuit ?

J'avais une lampe avant que je réglé à 700 lumens dans les montées et 1100 dans les descentes. J'avais aussi une frontale très légère qui ne prenait pas de place. À l'arrière, j'avais une lampe qui clignotait et une autre de rechange.


Tu as eu assez d’autonomie avec ton téléphone, ton GPS ?

Mon téléphone était chargé à bloc le matin du départ. Je l'ai gardé longtemps en mode avion. Je le rallumais pour donner des nouvelles. J’ai réussi à tout faire sans avoir besoin de recharger quoi que ce soit, ni les lumières, ni le téléphone, ni le compteur GPS.

Pause pizza à Modane ?

J’y arrive vers 23 h et là je fais ma première vraie pause. Quand je m’arrête pour manger ma pizza, je me dis que tout va bien. Je suis plutôt en avance sur mes prévisions horaires. Je comprends que la nuit va bien se passer. Après la pizza, je repars avec l'idée en tête de la double ascension, Télégraphe et Galibier, depuis Saint-Michel-de-Maurienne.


Et là, grosse galère ?

Je tombe sur un panneau « route barrée ». Là, tu te poses des tas de questions. Est-ce que je tente de passer avec le vélo sur le dos ? Je me demande combien de temps ça peut durer par l’autoroute en roulant sur la bande d’arrêt d’urgence ? Finalement, je trouve le panneau déviation vélo, que je n’avais pas vu, mais c'est beaucoup de montées dures par des petites routes. Ça ne représente pas grand-chose sur 18 000 mètres de D+ total, mais chaque détail imprévu, qui va dans le négatif prend tout de suite une importance considérable !

thibaut clement de nuit au galibier

Finalement ça passe et tu rejoins Saint-Michel-de-Maurienne ?

Oui, j’attaque l’enchainement Télégraphe – Galibier, pour le coup réellement interminable. Du Télégraphe je bascule vers Valloire, où il y a encore des bars ouverts. Ça fait plaisir de sentir un peu de chaleur humaine avant de grimper le mystique et mythique Galibier.


Donc tu passes Valloire et tu attaques le Galibier ?

Avec un gros vent jusqu’à Plan-Lachat. Mais un vent du sud, plutôt chaud. Après, je sens moins le vent. L'ascension se passe bien, par nuit claire. Je devine les contours des sommets et j’ai la pleine conscience de l’immensité des Alpes. J’ai l’impression d’être seul au monde…

Et là, tu retrouves ton pote Hugo à Briançon ?

La descente est plus fraîche que prévue et je m’arrête au col du Lautaret pour remettre une couche. Que j’enlève un peu plus loin dans la descente vers Briançon, où j’ai rendez-vous avec un ami d’enfance, qui y vit. Il est à peu près 3 h du matin. Hugo va monter le col de l’Izoard avec moi. Sur une fatigue de fin de nuit, ça fait du bien de ne pas être seul, de pouvoir discuter et partager ces moments-là. Hugo va faire la montée et la descente de l’Izoard avec moi… avant de recommencer en sens inverse pour aller bosser. Il fait encore nuit au sommet de l’Izoard. Dans la descente on est à fond dans la grande ligne droite d’Arvieux, puis on se sépare. Je prends les gorges du Guil, direction Guillestre et le col de Vars.

thibaut clement col de l'izoard
Petit-déjeuner à Guillestre ?

Avant d’affronter la dernière journée, je prends un chocolat chaud, un pain au chocolat et puis un petit peu de salé et des wraps. Pas de café ! J'ai évité les apports en caféine pendant tout le voyage. Je n’avais pas envie que ça crée des désordres intestinaux.


Après le petit-déjeuner, tu te lances dans le col de Vars ?

Le soleil s’est levé dans le col de Vars. Il y a un petit vent de face qui te cloue un peu mais je me dis que ce n’est pas si grave. On est déjà en début de matinée, autour de 09 h. Sauf qu’à Barcelonnette, où je veux refaire un plein de nourriture je tombe sur un festival de motos ! Je shunte le centre-ville et je m’arrête dans une boutique de souvenirs, où il y avait une canette de coca et une baguette qui traînait. Je prends ça et un wrap que je mange tout de suite. Il est très sec, avec une pâte mal cuite. Je quitte Barcelonnette un peu déstabilisé…


Tu en baves dans la Cayolle ?

Ce que j’ai avalé m’a tout juste maintenu à flot dans le col qui est très long et, en plus, assez rapidement envahi par les motos ! Heureusement je tombe sur deux jeunes ultra sympas qui me prennent un peu sous leur aile. Je me mets dans leurs roues, en me disant que, même si ça dure deux ou trois kilomètres, c’est toujours bon à prendre. Finalement, ils baissent le rythme et ils se mettent au mien. On fait la Cayolle ensemble et du coup on discute… Le temps passe vite, mais j'oublie de m’alimenter.

thibaut clement montee du col de la cayolle


C’est au sommet du col de la Cayolle que tu parles d’arrêter pour la première fois ?

En haut de la Cayolle, je ne suis pas très bien et je doute d’aller jusqu’au bout. Je repars tout de même sur une longue portion de transition, en descente jusqu’à Guillaumes. Là, je me relâche complètement. J'ai fait tous les cols au-dessus de 2000. Ma batterie physique commence vraiment à se vider. Pour la première fois je doute de ma capacité à réussir.


Comment tu surmontes ce moment difficile ?

À Guillaumes, je prends mon temps. Je trouve une boulangerie ouverte et je mange deux ou trois parts de pissaladière, une ou deux parts de tarte aux pommes… Ce qu’il me fallait pour me maintenir à flot au niveau énergétique. Je repars dans la montée de Valberg par Péone. Je continue à piocher et je commence à utiliser mon téléphone, à regarder les messages de mes proches, de ma famille. Je trouve tous les ressorts possibles pour avancer. C’est comme ça que j’arrive à Valberg, puis au col de la Couillole.


Comment ça se passe après le col de la Couillole ?

Dans vallée de la Tinée, j'aurais dû encore m'arrêter manger. Mais quand tu commences à perdre du temps, tu as moins envie de t’arrêter, parce que tu te dis que si tu t'arrêtes tu vas encore perdre du temps. Et chaque reprise est de plus en plus difficile ! Du coup la Colmiane est un calvaire. Par manque de lucidité, je rate le Proxi en haut du col. Je veux faire demi-tour et je me casse la g…... Je comprends que je suis à mes limites physiques…

thibaut clément route des grandes alpes
 

Reste alors le gros morceau du col de Turini, mais…

À La Bollène, on m’annonce que le col est fermé à cause du rallye de la Vésubie. Le bénévole qui est là me dit qu’il ne sait pas exactement quand ça rouvrira. Je peux finalement repartir vers 19 h 15 ou 19 h 30… et je reçois les premières gouttes de pluie.

turini route de grandes alpes
 

Et finalement ça se passe bien dans le Turini ?

Quand on enlève les barrières c'est comme un nouveau départ. Je monte le col de Turini plutôt à un bon rythme, malgré la pluie et la nuit qui commence à tomber. La descente est glissante, interminable, avec des feuilles qui sont tombées sur une route détrempée.


Comment termines-tu l’aventure ?

Je passe les cols de Castillon et d’Èze lentement, parce que physiquement je suis au bout. Après le col d'Èze, je n’ai plus qu'à apprécier la descente de toute la partie de la corniche au-dessus de Nice. Je profite des derniers kilomètres jusqu’à la Promenade des Anglais, arrivée mythique pour une route mythique, même si je ne peux quasiment plus pédaler assis.

Presque 39 heures sur un vélo, c’est un peu comme à un festival où on ne fait que boire et où on dort très peu. À la fin on finit avec une grosse gueule de bois !

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